Écrite en collaboration avec Nicole Malenfant pour le Conseil québécois de l'estampe, la nouvelle version du Code déthique de l'estampe originale a été lancée en juin 2000.
La main et l'outil
Tant que l'aspect technique de l'estampe a été
défini par les procédés manuels auquels
les artistes avaient recours pour intervenir eux-mêmes
sur une matrice, le problème de l'authenticité
des oeuvres ne s'est pas posé. Il suffisait, en quelque
sorte, d'identifier la main qui avait inscrit les signes. Mais
quand les techniques de l'estampe ont évolué, grâce
aux développements des procédés de reproduction,
la délimitation du champ technique de l'estampe est devenue
plus problématique. Où s'arrêtait le travail
« exécuté de la main de l'artiste »
? Où commençait le travail « mécanique
», voire « industriel », de l'opération
?
Il aurait été facile de décider que seul
le travail manuel était digne de s'élever au rang
d'oeuvre d'art, en oubliant que l'estampe est précisément
née de l'invention de l'imprimerie et qu'elle s'est approprié,
à travers le temps, les innovations techniques développées
par le commerce et l'industrie.
La question a été posée à chaque
fois que de nouveaux procédés de reproduction sont
apparus : ces procédés permettent-ils la création
d'oeuvres d'art authentiques ? Si oui, en ce qui nous concerne,
les oeuvres produites appartiennent-elles au domaine de l'estampe
? Sous quelles dénominations doit-on les identifier ?
De nouvelles pratiques
Dans une perspective de mise à jour de son Code d'éthique
de l'estampe originale, le Conseil québécois de
l'estampe poursuit, depuis plusieurs années, une réflexion
sur la pratique de ses membres, un questionnement qui amène
quelques constatations qu'il serait intéressant de résumer
ainsi :
À l'évidence, il semble que les artistes contemporains
portent leur engouement sur les développements des technologies
de l'imagerie et de l'imprimerie au fur et à mesure de
leur apparition. Conscients d'appartenir à la tradition
de l'estampe, ils accueillent l'arrivée de ces nouvelles
technologies en continuité avec les anciens modes de production
dont ils cherchent ainsi à garantir la survivance. Ils
explorent de nouveaux médias du point de vue esthétique,
convaincus que dire une chose d'une nouvelle manière amène
souvent à dire autre chose, les nouveaux outils permettant
de poser un regard neuf sur les particularités de la réalité
contemporaine. Tout comme leurs prédécesseurs,
ces artistes tentent de développer leurs nouveaux instruments
en les adaptant à une pratique poétique personnelle,
les détournant pour ainsi dire de leur vocation commerciale
et industrielle.
De cette façon, et à leur manière, les artistes
qui utilisent ces nouvelles technologies contribuent au renouvellement
des deux piliers de la tradition de l'estampe : l'élargissement
du champ de la pratique et le développement du métier.
De nouveaux champs de pratique
Sur la base de cette argumentation, la réflexion sur les
nouvelles technologies a amené le Conseil québécois
de l'estampe à proposer à ses membres, dès
1996, l'introduction de trois nouvelles pratiques artistiques
dans la discipline de l'estampe. Ce sont la copigraphie, l'offset
d'art et l'estampe numérique. Acceptée par une
très large majorité des membres du Conseil, cette
proposition s'est avérée d'autant plus importante
et justifiée que le milieu artistique avait déjà
intégré ces pratiques dans une mise à jour
de la définition de l'estampe originale. Le 25 octobre
1991, en effet, lors de la Biennale de Venise, une commission
internationale reconnaissait l'intégration de procédés
techniques tels que le report photographique, le clichage, la
gravure photochimique, la photocopie et le travail à l'aide
de l'ordinateur pour répondre aux besoins créatifs
des artistes.
Copigraphie, offset d'art et estampe numérique répondent,
de façon naturellement différente mais analogue,
aux critères spécifiques de l'estampe qui sont
nommément : le travail sur une matrice, la création
d'une image en exploitant les caractéristiques propres
à la technique d'exécution, le report de cette
image matricielle sur un support et sa reproductibilité.
Copigraphie, offset d'art et estampe numérique partagent
également avec l'estampe traditionnelle le paradoxe du
singulier/multiple.
La matrice
L'existence d'une matrice dans chacune de ces pratiques n'est
plus à démontrer. On connaît en effet l'oeuvre
de David Hockney qui a travaillé directement sur des plaques
métalliques offset avant de les transférer sur
la presse en vue du tirage. Quelques membres du Conseil québécois
de l'estampe ont utilisé la même approche technique
lors des 2e et 3e symposiums internationaux d'offset d'art de
Vila Praïa de Ancora, au Portugal, en 1991, et à
Trois-Rivières, en 1993.
La matrice électrostatique des estampes copigraphiques
agit quant à elle sur un tambour à l'intérieur
du photocopieur. C'est cette image matricielle résultant
de l'action de l'artiste sur le verre qui sera finalement reportée
sur le support. À cause du phénomène électrostatique,
cette matrice a comme particularité de n'exister que le
temps de l'impression. Elle est immédiate et momentanée,
et ne peut être conservée pour usage ultérieur.
C'est sans doute dans la logique du procédé même
qu'on retrouvera une des raisons qui porte les copigraphistes
vers l'impression d'épreuves uniques.
L'estampe numérique, pour sa part, crée, traite
et conserve les images sous forme de plan dans la mémoire
de l'ordinateur. Ce plan établit la répartition
de chacun des éléments constitutifs de l'image
dans une matrice que l'on appelle « bitmap ». Toute
modification visible à l'écran comme à l'impression
sera la conséquence d'une transformation de cette matrice
qui présente, elle aussi, une caractéristique particulière.
Contrairement aux matrices des autres procédés
de l'estampe qui ne permettent l'impression d'une image que dans
sa dimension originelle, les matrices informatiques rendent possible
l'édition d'une même image dans des formats et des
rendus qui varient selon les moyens utilisés pour réaliser
l'impression. Car la dimension même de la matrice constitue
une des variables de même que le choix déterminant
de l'imprimante.
Les caractéristiques propres
à la technique
Tout comme les procédés traditionnels, les nouvelles
pratiques utilisent des machines et des procédés
techniques qui leur sont propres et reconnaissables. Les artistes
s'efforcent justement de maîtriser et de maximiser les
effets distinctifs inhérents à chacun des procédés
dans le but de créer une oeuvre originale. L'originalité
se situe dorénavant tant au plan de l'intervention de
l'artiste dans le processus de fabrication qu'au plan de la finalité
de l'oeuvre.
Le report de l'image sur un support
et la reproductibilité
Cela va de soi, l'introduction des nouvelles technologies dans
la famille de l'estampe ne se conçoit que dans la mesure
où ces procédés partagent des supports similaires
à celle-ci. Les nouvelles technologies en estampe permettent
la production de multiples et sont évidemment assujetties
aux mêmes critères d'originalité et de permanence
que les techniques traditionnelles.
Le paradoxe du singulier/multiple
À cause de la reproductibilité, cette retombée
inhérente au travail en estampe, toutes les techniques
de l'estampe partagent ce « péché originel
» qui, selon Michel Melot, veut qu'en matière d'objets
d'art, ce qui est multiple peut être unique. En estampe,
il n'existe d'original que lorsqu'il existe une copie. Cette
copie, on parlera plutôt d'exemplaire ou d'épreuve,
n'est pas la reproduction d'un original déjà existant,
mais le report d'une image matricielle unique et singulière
sur un support. L'oeuvre proprement dite ne commence à
exister que lorsque le premier exemplaire est tiré ; suivent,
ou non, des oeuvres jumelles dûment identifiées
comme telles.
De par leurs caractéristiques propres, les nouvelles techniques
partagent visiblement ce paradoxe originel avec les pratiques
traditionnelles : elles devraient conséquemment utiliser
le même système d'identification des épreuves.
Conclusion
À leur création, tous les procédés
de l'imprimerie ont été des nouvelles technologies.
L'expression est récente et sans doute un peu abusive,
car il ne fut jamais question de les nommer ainsi à l'époque
de leur apparition. C'est bien sûr dans une perspective
actuelle que l'on peut employer cette formule pour parler des
inventions qui ont apporté une révolution dans
la communication du savoir. Le développement de l'imprimé
est incessant et rapide ; nous assistons de plus en plus à
l'apparition de nouvelles formes d'imprimés ou de nouvelles
façons d'imprimer. À titre d'exemple, il est tout
à fait possible aujourd'hui de faire le tirage d'une estampe
numérique simultanément sur plusieurs imprimantes
situées à travers le monde en acheminant l'information
nécessaire de la matrice vers ces imprimantes via le modem,
la fibre optique et le relais satellite. C'est une des réalités
nouvelles de l'estampe contemporaine. C'est également
une des joies que la vie moderne apporte aux créateurs
et qui s'ajoute au plaisir de l'odeur de l'encre.
L'évolution de nos comportements artistiques nous oblige
à une constante remise en question des procédés
que nous utilisons. Il faut veiller à ce que l'éthique
de notre profession d'estampier progresse également, à
la suite de la transformation de notre pratique. L'éthique,
en ce sens, demeure un exercice nécessaire et perpétuel.
Richard Ste-Marie
Septembre 1999