5 décembre 2004

Les petits papiers

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Alors que j'étais vice-doyen de la faculté des arts de l'Université Laval, faculté qui comprenait à l'époque l'École de musique, l'École des arts visuels, d'où je venais moi-même, et le département d'information et de journalisme, j'avais été amené à faire quelques observations sur les gens qui y enseignaient, professeurs avec qui j'avais des rapports professionnels assez fréquents et qui composaient un ensemble absolument intéressant de personnalités somme toute fort différentes. Il y a bien des contrastes de tempérament et des différences de caractère, vous en conviendrez, entre un compositeur de musique actuelle, un journaliste politique, un maître graveur et un professeur de didactique à l'élémentaire. Bien des manières divergentes de percevoir et d'exprimer le monde qui nous entoure.

Je garde un bon souvenir de cette courte période où j'ai pu connaître sous un jour qui ne m'aurait pas été donné autrement des gens extrêmement compétents, très actifs, ayant des affinités diverses —c'est sans doute pourquoi ils ne se fréquentaient pas tellement d'un secteur à l'autre—, mais ayant aussi des similitudes surprenantes.

Le rapport à la matière est une de celles-là.

Je préparais à ce moment-là une exposition de dessins et j'avais fait l'inventaire de mes papiers. Papiers communs, bons pour les esquisses préliminaires; papiers à dessin, papiers à aquarelle, papiers pour la gravure : Arches, Johannot, Stonehenge et autres marques de prestige, généralement assez coûteux. Donc précieux. Comme tous mes collègues et amis artistes, j'avais des tiroirs pleins de découpes de toutes sortes et de toutes dimensions : des chutes d'un précédent tirage de lithographies, des retailles de papier vendu au rouleau, des exemplaires de sérigraphie imparfaits mais dont le verso était «encore bon». Certains de ces bouts de papier étaient dans mes tiroirs depuis des lustres, restes précieux qu'on garde, on ne sait trop pourquoi, et dont on ne peut se défaire justement parce qu'ils sont là depuis toujours. Beaucoup de ces morceaux de papiers, trop petits pour servir à autre chose, finiraient un jour convertis en carte de souhait.

«Tu ne jettes vraiment jamais rien?», me demanda un jour un collègue journaliste, sceptique et plutôt abasourdi devant mon armoire débordante de ce qu'il percevait comme un fouillis indescriptible alors qu'à mes yeux, le tout apparaissait absolument rangé selon une logique implacable.

— Pas plus que toi, lui répondis-je tout à trac.

— Comment?

— Ma matière première, c'est le papier. La tienne, c'est l'information.
Tu conserves précieusement par petits bouts toutes sortes de renseignements de provenances souvent fort disparates, jusqu'à ce que, à force de recoller ces petits bouts, tu puisses faire un papier, si tu me permets le jeu de mots facile, un article qui ait un sens; tu m'as toujours dit que tout renseignement pouvait devenir information. Ou bien, par grand morceaux, tu conserves patiemment des révélations, jusqu'à ce que tu décides de les divulger sous forme d'enquête. On te confie un secret? Le voilà transformé en article inspiré, comme tu dis dans ton métier, de «sources dignes de foi généralement bien informées». La forme de ton message dépend souvent de ceux à qui te le destines. On se ressemble, finalement.

Mon ami sourit et quitta l'atelier peu après. Je n'ai jamais su ce qu'il pensait de notre conversation, encore moins si elle avait été pour lui d'une quelconque utilité.

© Richard Ste-Marie 05/12/04

 

Quelques sites intéressants :

Journalisme québécois
Le site de la radio au Québec
Fédération internationale des journalistes

Atelier Presse-Papier
Les papiers Arches
Papiers spéciaux